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L’histoire derrière Câline de blues: Rencontre avec Pierre Harel

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L’histoire derrière Câline de blues: Rencontre avec Pierre Harel

L’auteur Pierre Harel partage l’histoire et le succès derrière la chanson culte

21 juillet 2015

En mai 2015, le Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens intronisait la chanson Câline de blues composée par Gerry Boulet, Pierre Harel et Michel (Willie) Lamothe. L’équipe du Panthéon a rencontré Pierre Harel, le parolier derrière ce classique du blues francophone afin d’en connaître un peu plus sur la genèse de la chanson.

L’histoire veut que Câline de blues ait été écrite suite à une ligne de basse de Willie alors que Gerry chantait « That’s why, that’s why, I’m signing the blues » et qui est devenue « L’aut’soir, l’aut’soir, j’ai chanté du blues / L’aut’soir, l’aut’soir ça l’a rendu jalouse ».

On était dans les Laurentides pour des shows. On habitait là pour la semaine. Dans ce temps-là on jouait dans des petits hôtels la fin de semaine et on y était logé durant la semaine. Ça nous permettait de pratiquer parce que je venais d’entrer dans Offenbach quelques mois auparavant. Quand je suis arrivé dans Offenbach, il n’y avait que quatre chansons originales et le reste c’était des covers. Cette journée-là j’étais allé chez ma copine de l’époque, Michèle Mercure, et comme on était booké là pour un mois, elle avait loué un chalet à St-Sauveur, pas loin de l’hôtel. On avait eu une petite chicane le matin parce que je voulais aller pratiquer avec mes amis. Ce n’est pas parce que je ne l’aimais pas, je l’aimais beaucoup, mais j’étais là pour travailler on a eu une chicane et je suis parti.

Je suis arrivé en retard et quand je suis entré à l’hôtel les gars jouaient. J’entendais Gerry qui chantait « That’s why, that’s why I’m singing the blues ». C’est une ligne connue dans le monde du blues, du blues-rock. Je pensais que c’était un cover que je n’avais jamais entendu mais la musique n’était pas comme d’habitude. Ce n’était pas une musique de blues conventionnel, c’était un petit walking boogie. En entrant, j’ai d’abord cru qu’il chantait en français parce que « That’s why, that’s why » j’entendais « L’aut’soir, l’aut’soir », c’est quand même proche. Et je lui demande ce qu’il chantait et il me dit : « That’s why, that’s why I’m singing the blues ». J’ai alors compris que je m’étais trompé, mais pas tant que ça. Je leur ai dit de continuer à jouer et je suis allé m’assoir devant la scène. Il y avait une pile de napkins et j’ai écrit. J’ai commencé par le refrain « L’aut’soir, l’aut’soir, j’ai chanté du blues / L’aut’soir, l’aut’soir ça l’a rendu jalouse » parce que c’est ça qui m’était venu en premier. Ensuite ça n’a pas été long, ça m’a pris 15-20 minutes pour écrire la chanson. Willie a commencé la ligne de basse et on est embarqué dessus et ça a donné exactement la chanson qu’on connaît maintenant.

Est-ce que vous l’avez vite joué en spectacle?

Oh oui! La fin de semaine même et ça a été un succès. C’était la première chanson que Gerry chantait en français. Il ne voulait pas chanter en français. Il n’aimait pas sa voix quand il chantait en français. Ce n’est pas si simple quand t’as entendu des chansons anglophones toute ta vie. Les chansons en français dans ce temps-là ce n’était pas vraiment notre style. Ce qu’on avait ici venait surtout de France, de Paris. La musique qu’on écoutait à l’époque c’était beaucoup de l’anglais : des britishs ou des américains. Quand t’as fait des covers depuis l’âge de 12 ans, c’est surtout de l’anglais. Chanter en français, c’était pas évident, ce n’était pas naturel. Quand j’ai écrit Câline de blues on avait quatre chansons en français que je chantais parce que Gerry ne voulait pas les chanter. Habituellement quand on jouait des covers comme les Stones ou Atomic Rooster, la piste de danse se remplissait et aussitôt qu’on jouait nos compositions, la plupart du temps la piste se vidait quand c’était en français. Mais là, elle ne s’était pas vidée. Donc Gerry a vu qu’il y avait de l’avenir à chanter en français. Alors ça a changé beaucoup sa perception des choses. C’est la seule chanson de nos chansons françaises de l’époque qui est demeurée, les autres n’ont pas été enregistrées.

Quelle a été votre réaction quand vous l’avez entendu sur disque pour la première fois?

J’ai beaucoup aimé ça et ça ressemble beaucoup à la version sur scène de l’époque. En fait, la première fois que je l’ai entendu ce n’était pas sur disque mais pour la bande sonore de mon film Bulldozer. Peu après St-Sauveur, on est revenu à Montréal et les gars étaient cassés. Ça ne marchait pas bien, bien. J’avais joint le groupe l’été d’avant et j’avais eu de l’argent de mon producteur de film. Je l’ai convaincu de me faire entrer en studio avec mes amis pour commencer à faire la bande sonore du film qui était en cours de montage.

Donc si vous n’aviez pas fait votre film, la chanson n’aurait pas été endisquée tout de suite?

On l’a endisqué le printemps suivant avec Stéphane Venne qui joue du piano sur la chanson. C’était au mois de mai 1972. C’était au Studio 6. On était allé là pour enregistrer Câline de blues et ça ne faisait même pas un mois et demi qu’on l’avait fait pour mon film. Le Studio 6 était au 4e ou 5e étage sur McGill College et dans l’ascenseur – encore une fois j’étais en retard – j’ai eu le flash « Faut que je me pousse ». Quand je suis arrivé en haut j’avais « Faut que je me pousse/Tout me donne la frousse » – encore une autre histoire de fille – dans la tête. La porte de l’ascenseur ouvrait directement dans le studio. Donc en arrivant je vais voir Gerry et je m’assoie à côté de lui et je lui joue les 2-3 premiers accords de la chanson que j’avais déjà faite chez ma grand-mère à l’âge de 17 ans. C’était une petite chanson qui n’avait jamais été nulle part. Et là Gerry prend le lead et finit la chanson je moi j’ai écrit les mots en même temps. Encore une fois, ça a pris 15-20 minutes et Faut que je me pousse était faite. Cette soirée-là, au lieu de juste enregistrer Câline de blues on a aussi enregistré Faut que je me pousse.

Finalement, votre recette du succès c’est : arriver en retard et avoir une chicane avec vos blondes!

(Rires) Écoutez, il faut prendre la vie comme elle vient. Moi, ça s’est produit comme ça. Mais ça ne s’est plus jamais reproduit comme ça après…

Pourquoi pensez-vous que les gens aiment autant cette chanson?

Parce que c’est la première chanson en langue québécoise. Ce n’était pas en français, mais en québécois. C’était la première fois que les gens entendaient une chanson avec une musique moderne de rock en québécois. Il y avait Robert Charlebois qui faisait lui aussi du rock, et même avant nous, il a commencé en 1967 ou 1968, mais ce n’était pas le même genre de rock que nous. C’était plus french-rock. La musicalité de Câline de blues c’est américain. Je ne parle pas nécessairement états-uniens, mais d’Amérique. C’est une musicalité américaine avec des paroles dans une langue où les gens se reconnaissaient, la langue de la rue. Avant ça les chansons étaient soit des traductions ou des adaptations. Il y a eu d’excellents groupes comme Les Sultans ou d’autres, mais c’était toujours chanté avec un accent français plutôt que québécois. Câline de blues a été la première en québécois et les gens ont été fiers de ça, je crois. Les gens étaient contents d’entendre quelqu’un à la radio qui avait l’accent de chez eux.

Vous avez dit que Câline de blues a fait partit de votre répertoire pendant plus de 30 ans. Est-ce qu’on peut dire que c’est une des chansons dont vous êtes le plus fier?

Oui, j’en suis fier. J’en suis de plus en plus fier au fur et à mesure qu’elle gagne des prix. D’ailleurs, c’est aussi un Classique de la SOCAN. Dans le fond, ce n’est pas un chef-d’œuvre Câline de blues, on s’entend. Mais c’est une chanson qui a eu le mérite d’avoir ouvert des portes alors oui, je suis très fier de Câline de blues. Je ne peux pas en dire plus que ça parce que ça m’est venu tellement vite, je n’ai pas travaillé fort pour ça! C’est une chanson qui s’est emparée de moi, finalement. Je l’ai juste retranscrit. Il y a des chansons moins connues où j’ai travaillé des heures et des jours comme Tendre ravageur que peu de gens connaissent et qui est un poème parfait, en alexandrin. Je suis bien fier de cette chanson, mais personne ne la connait. Des fois, quand on travaille très fort sur une chanson, la personnalité du chansonnier prend beaucoup de place et ça donne un résultat très différent, mais quand l’inspiration arrive à l’état presque pur, ça fait des chansons comme celle-là.

Est-ce que vous composez encore des chansons?

Oui, je ne dirais pas à chaque jour, mais je dirais que 3-4 fois par semaine je prends ma guitare et à toutes les fois, j’écris une nouvelle chanson. J’ai commencé à composer à 14 ans. J’ai commencé à jouer à 15 ans. Dans ce temps-là ça payait 5$. C’était dans des gymnases d’école et dans des salles paroissiales pour 5-10$ pour une heure de chansons. J’ai au-delà de 50 ans de carrière.

Pour en connaître plus sur Câline de blues
Regardez Antoine Gratton et le Quatuor Orphée interpréter Câline de blues dans le cadre de la série Classiques Revisités

 

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