Par Karen Bliss
Le chanteur, auteur-compositeur et guitariste Bruce Cockburn – intronisé au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (PACC) en 2017 – a écrit des centaines de chansons au fil de 27 albums studio lancés depuis une cinquantaine d’années. Il cumule 22 certifications Or et Platine, dont notamment son album Christmas (1993) qui a été certifié 6 fois Platine. Son premier album éponyme a été lancé en 1970 sur l’étiquette True North Records fondée par son gérant de longue date, Bernie Finkelstein.
Originaire d’Ottawa, cet activiste politique et humanitaire au franc-parler est fermement opposé à la guerre et à la destruction de l’environnement. Il est connu pour des succès tels que « Wondering Where the Lions Are », « Lovers in a Dangerous Time » et « If a Tree Falls ». Aujourd’hui âgé de 78 ans, c’est un véritable bourreau de travail qui continue d’écrire des chansons pertinentes et empreintes de vérité. En 2023, il a lancé l’excellent album O Sun O Moon, produit par Colin Linden, et a depuis effectué de nombreuses tournées au Canada, aux États-Unis et à l’étranger.
À travers tout ça, il recevra le 14 juin un doctorat honorifique en musique de l’Université Wilfred Laurier à Waterloo, en Ontario, et le 7 juillet il sera intronisé au Mariposa Hall of Fame durant ce festival de musique folk qui a lieu à Orillia.
Il fait déjà partie de plusieurs panthéons, dont le PACC, le Panthéon de la musique canadienne (où il a été intronisé dans le cadre des JUNOs) et l’Allée des célébrités canadiennes. Il a été fait membre de l’Ordre du Canada en 1983 avant d’y être promu officier en 2003. En 1998, il a reçu le prix du gouverneur général pour les arts de la scène. Bruce Cockburn a remporté 13 prix JUNO, le Allan Slaight Humanitarian Spirit Award et la Médaille du jubilé de diamant de la Reine Elizabeth II. Il a même figuré sur un timbre-poste en 2011!
Bruce Cockburn vit maintenant à San Francisco et il s’est entretenu avec la PACC lors de sa récente tournée américaine. Le 24 mai, il entreprendra une série de spectacles au Canada.
Vous avez donné des spectacles vraiment partout. Quand vous planifiez une tournée, essayez-vous d’inclure des endroits où vous n’êtes jamais allé ou espacez-vous vos spectacles pour avoir le temps de visiter un musée ou un endroit que vous aimez? [rires] C’est pas très romantique. C’est Bernie qui s’occupe du « booking ». La question qu’on se pose c’est « où peut-on aller qui est pratique, mais où on n’a pas mis les pieds depuis un certain temps? » C’est notre principale préoccupation quand on regarde une zone géographique. Des fois, c’est l’offre d’un promoteur qui dicte la destination. Par exemple, si on reçoit une bonne offre pour jouer dans un festival en Angleterre, on va essayer de planifier d’autres spectacles là-bas autour de cette date. Pour ce qui est de tourner en Amérique du Nord, on est en train de « booker » le mois de mars prochain est une tournée sur la côte ouest.
Quel est votre meilleur souvenir de votre intronisation au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens au Massey Hall la même année que Neil Young? Je me souviens de presque tout. C’était magnifique quand William Prince et Elisapie ont chanté « Stolen Land ». C’était fantastique quand Buffy Sainte-Marie m’a présenté. J’étais vraiment touché. Tout ce qu’elle a dit était superbe. C’était intelligent et très à propos, selon moi. C’est de ça que je me souviens le plus.
Je me rappelle aussi que Neil était accompagné de Daryl Hannah avec qui il est en couple en ce moment. J’avais rencontré Daryl dans les années 80 quand elle était en couple avec Jackson Browne. Je suis allée à un événement chez eux à Los Angeles. Daryl Hannah, toutes ces années plus tard, avait exactement la même apparence que lorsque je l’ai rencontrée la première fois et je lui ai demandé « Comment as-tu fait ça? » Y a des gens qu’on sait exactement comment ils font. [rires]
Elle a certainement de très bons gènes. Je l’ai vue dans des films comme Kill Bill et elle a l’air plus vieille dans le film que dans la vie. Mais au Massey Hall, elle n’avait absolument pas changé depuis la fois où elle m’avait ouvert la porte quand j’étais allé leur rendre visite. Je lui ai demandé si elle était une sorte de vampire. Pourtant, Neil et moi – on n’est pas des amis intimes, mais on se connaît depuis très longtemps – on a l’air de notre âge. Pas Daryl. Ce sont des moments mémorables.
Lors de votre intronisation, vous avez dit ceci à propos de votre gérant de longue date, Bernie : « Dans notre monde de plus en plus factice, lui et moi on a réussi le coup le plus spectaculaire de tous : répandre la vérité. » Vous souvenez-vous d’avoir écrit ça pour votre discours? Oui, vaguement.
Et que vouliez-vous dire par « on répand la vérité »? Bernie est un homme d’affaires et moi je suis un artiste, mais la relation qui nous unit est symbiotique. Bernie est encore mon gérant parce qu’il aime la musique. Et il en est fier. Je continue parce que j’aime la musique. J’aime aussi être payé, évidemment. Mais je ne le fais pas pour l’argent. Je continuerais même si on ne me payait pas.
OK, c’est un peu grandiose comme explications, alors disons-le ainsi : je veux que mes chansons soient empreintes de vérité. Ça ne veut pas dire qu’elles ne peuvent pas être fictives. On peut écrire un roman plein de vérité.
On peut mettre de la vérité dans n’importe quel type de chanson, mais elle doit aussi avoir une vérité émotionnelle. Quand des faits sont mentionnés, comme je dis, ça peut être romancé, mais, en général, j’essaie de dire une sorte de vérité. J’essaie de dire ma vérité spirituelle, de laisser une trace de mon parcours dans la vie qui pourrait être utile à quelqu’un, ou pas, mais si je ne la dis pas, elle ne sera utile à personne.
C’est pour ça que je fais ce que je fais. Pour moi, c’est une question de vérité avec un grand « V ». Je peux exagérer ou diminuer l’importance d’une chose ou d’une autre pour rendre une chanson plus divertissante et intéressante, mais ça doit venir d’un endroit réel à l’intérieur de moi. C’est ça que j’ai à partager. Sans ça, il n’y aurait aucune raison de faire ce que je fais. Sans ça, je le ferais uniquement pour l’argent. Voilà pourquoi j’ai appelé ça la « vérité. »
C’est rare dans notre industrie de travailler avec quelqu’un aussi longtemps que vous et Bernie. Pouvez-vous citer un élément qui a été la clé de votre collaboration pendant toutes ces années, à travers les hauts et les bas de la vie? Déjà, à la base, ça fonctionne et ç’a toujours fonctionné. Pourquoi essayer de réparer quelque chose qui fonctionne? Comme dans n’importe quelle relation, il nous a fallu de la patience, de la tolérance et de l’indulgence et aussi la capacité de prendre du recul par rapport aux frustrations qui accompagnent les relations au fil du temps. Jusqu’ici, on y est arrivés. Et on va sûrement continuer comme ça.
Envisageriez-vous de vendre votre catalogue comme l’on fait plusieurs de vos pairs? Ça vous donne des liquidités et vos chansons deviennent vraiment complexes pour votre famille et votre succession. Je l’ai fait. Je l’ai fait pour des raisons fiscales quand je suis devenu citoyen américain, sinon ça n’avait aucun sens. Mon comptable m’a déconseillé d’avoir une entreprise au Canada alors que je vis aux États-Unis. Alors j’ai vendu mon catalogue. Ça fait déjà 12 ans, maintenant.
Vous étiez en avance sur ce qui est depuis devenu une tendance. Neil, Dylan, Springsteen, tellement d’autres. Ces gars-là le font parce qu’ils font tellement d’argent avec ça. Et oui, ça simplifie la question de la succession, dans un sens. Mais pour moi, c’était une décision pratique que j’aurais préféré ne pas prendre, en fait, parce que j’aime l’idée d’avoir le contrôle sur ce qu’il advient de mes chansons. Mais en même temps, si on regarde le portrait global, j’ai quand même une maison d’édition qui possède les chansons que j’ai écrites depuis que cette entente a été conclue.
Donc, il y aura toujours ces considérations quand je crèverai, ma famille va devoir s’en occuper, mais c’est inévitable à moins que ta vie économique soit ultrasimple. Sauf que c’est pas la cas de la majorité d’entre nous à cause du ministère du Revenu. [rires] C’est toujours compliqué. Il y a toujours des trucs comme ça qu’on essaie d’éviter. On a pensé à tout ça et on a essayé de faire des plans qui ne seront pas trop difficiles à gérer.
En tant qu’activiste auteur-compositeur engagé socialement et politiquement, que pensez-vous du fait qu’on voit des jeunes manifester pour un contrôle plus strict des armes à feu, pour les droits des femmes, et récemment installer des campements propalestiniens dans les universités, et pourtant la musique populaire, les chansons qui se rendent au sommet des palmarès, ne reflètent pas cet engagement. Pensez-vous que l’intérêt des jeunes pour les questions de fond pourrait commencer à s’insinuer dans la musique? J’ai pas vraiment d’idée de ce que les jeunes d’âge universitaire écoutent. Mais on a déjà vu tout ça. Dans les années 60, à l’époque de la guerre du Viêt Nam – surtout aux États-Unis ; il y avait aussi des manifestations au Canada, mais pas nécessairement contre la guerre –, c’était juste une mode, d’une certaine manière, d’organiser ce genre d’événements. Je ne veux pas de minimiser la gravité de la situation en la qualifiant de mode, mais ce genre de contestation semble arriver par vagues ou par phases. Et à l’époque, des gens sont morts dans certaines manifs parce que le gouvernement faisait venir les troupes et les troupes ont fait ce qu’on leur a dit de faire. Ce qu’on voit, c’est le retour du pendule dans l’autre direction avec de nouvelles provocations et de nouvelles circonstances et une cause légèrement différente, mais pas si différente que ça. En fin de compte, c’est encore la faute du gouvernement américain qui se mêle des affaires des autres.
Ça va être intéressant de voir si ça s’immisce dans la musique. Je pense que ça va arriver. Ç’a toujours été le cas avec le rap. Le rap est immensément populaire. C’est pas tous les rappeurs qui le font, mais y en a beaucoup qui s’attaque à toutes sortes de préoccupation dans leur musique.
Même si c’est juste des références passagères au milieu de l’habituelle vantardise et du reste, il y a souvent des commentaires sur ce qui se passe autour d’eux. C’est de ça qu’il est question quand on parle des manifestations. C’est pour ça que je pense que ça va finir par arriver et probablement de plus en plus d’ici à ce que tout ça soit fini.
Rendu où on est, c’est difficile de savoir comment les gens vont réagir. Je ne suis pas très au courant. Si je devenais un auteur-compositeur aujourd’hui, je serais probablement assis dans ma chambre en train de regarder mon ordinateur pour apprendre à travailler avec ça pour écrire des chansons.
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