En mémoire de Serge Fiori

11 juillet 2025

Par Karen Bliss

C’est un véritable témoignage de l’influence musicale profonde de Serge Fiori que Voivod — l’un des groupes de métal progressif les plus avant-gardistes à émerger du Québec — ait été à ce point marqué par son groupe phare Harmonium, des années 70, au point qu’ils espèrent présenter une série de spectacles symphoniques hommage en 2027. Une idée qui mijotait déjà bien avant que le chanteur et icône de la chanson ne décède le 24 juin dernier.

« Serge Fiori est un symbole de notre culture musicale au Québec. Il était authentique et fidèle à ses principes. Il a apporté beaucoup de lumière dans ma vie, » confie Dominic « Rocky » Laroche, bassiste de Voivod, au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens. « J’avais 16 ans quand j’ai découvert L’Heptade en vinyle chez mes parents. Ce jour-là, j’ai été transformé. J’ai demandé à ma mère une guitare 12 cordes. Ensuite, j’ai passé beaucoup de temps à apprendre presque toutes leurs chansons, et à les jouer, parce que je les aimais tout simplement, mais aussi parce que ça faisait du bien à mon âme. C’était une forme de méditation. »

Fiori, intronisé au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens en 2019, aux côtés de ses cofondateurs d’Harmonium — Michel Normandeau, Serge Locat et Louis Valois — est décédé à l’âge de 73 ans « dans les premières heures de cette Saint-Jean-Baptiste… après une longue maladie, » a indiqué son gérant et ami de 36 ans, Serge Grimaux, dans un communiqué, précisant que « … les chansons qu’il a écrites et les harmonies qu’il a créées résonneront pour toujours. »

D’innombrables hommages ont afflué d’artistes francophones de tous âges et de tous genres, presque tous évoquant l’effet profond qu’il a eu sur les Québécois et leur propre parcours musical.

La chanteuse pop Catherine Major, 45 ans, a déclaré : « Sa musique a contribué à façonner mon propre parcours artistique. Ces chansons sont des trésors intemporels qui ne disparaîtront jamais, » tandis que le musicien country Patrick Norman, 78 ans, a salué la légende : « Tes chansons resteront à jamais gravées dans le cœur des Québécois. »

Le musicien Nelson Minville, 57 ans, a écrit : « Tu es une des voix qui nous ont donné l’amour du Québec, » et le chanteur-musicien Bruno Pelletier, 62 ans, a révélé : « C’est grâce à toi que j’ai pris la guitare après avoir joué de la batterie, et que j’ai voulu commencer à écrire en français à l’adolescence… Tes chansons continueront de vivre en nous tous. »

Le musicien satirique Mononc’ Serge, 55 ans, a noté : « J’ai beaucoup écouté Fiori dans ma jeunesse, et je l’écoute encore, régulièrement. Même si son influence ne transparaît pas dans mes chansons, sa musique, sa voix et sa sensibilité sont restées en moi et m’ont profondément façonné, » et la chanteuse Mélissa Bédard, 34 ans, a ajouté : « J’ai grandi avec des parents qui écoutaient Harmonium… ça fait partie de nous, de notre ADN… on ne cessera jamais de t’écouter. »

Harmonium, qui mélangeait folk, rock et jazz, a sorti seulement trois albums après que Fiori, Normandeau et Valois aient commencé à jouer autour de Montréal en 1973, lançant leur premier album éponyme un an plus tard — un succès en quelques mois.

Le deuxième album du groupe, Si on avait besoin d’une cinquième saison (aussi connu sous Les Cinq Saisons), paru en 1975, a été en nomination pour un prix Juno de l’album le plus vendu et le groupe a aussi été nommé dans la catégorie Groupe de l’année. Le groupe a également tourné au Royaume-Uni et en Europe avec Supertramp et est allé en Californie pour promouvoir la musique et la culture québécoises. En 2015, Les Cinq Saisons a été nommé par Rolling Stone comme l’un des plus grands albums de rock progressif de tous les temps (no 36).

Leur dernier album studio — et premier à devenir disque d’or — fut le double LP L’Heptade, sorti en 1976.

Une autre légende québécoise, Richard Séguin, intronisé plus tôt cette année au Panthéon, a collaboré avec Fiori dans les années 70, pour l’album Séguin-Fiori, un projet de plusieurs années sorti en 1978, Deux cents nuits à l’heure, qui s’est vendu à plus de 200 000 exemplaires et a remporté trois prix lors du premier Gala de l’ADISQ en 1979 : Groupe de l’année, Album de l’année – auteur-compositeur-interprète et Disque de l’année.

Séguin a envoyé au Panthéon un magnifique hommage à son ami :

« Harmonium était selon moi le porte-flambeau d’une décennie, sans passer par la revendication ou le plaidoyer social, le ton même de sa musique devient synonyme de happening. Il y avait dans ces musiques une sorte d’éveil de renaissance spirituelle qui occupait alors toute la côte ouest-américaine, je ne peux pas dire encore aujourd’hui si l’heptade était une forme d’autoportrait de Serge.

L’écriture était large, remplie de symboles et d’intuition. C’est avant tout la voix de serge qui occupait le premier plan, une sorte de plainte, vulnérable, complètement libre dans ses improvisations à d’autres moments, une chose étrange se produit à l’écoute des premiers albums autant que sur l’Heptade même des adolescents en 2025 s’y reconnaissent. Comme si cette voix était un écho de leur propre exil en eux-mêmes, un reflet de leur psychologie remplie d’une gamme d’émotions enflammées ou retenues.

Il y a dans l’heptade de véritables moments de splendeur, la trame mélodique compose un éloge des sept niveaux de conscience, c’était raffiné, à la lisière du folk et de la musique alternative des années 70, influencés par la vague anglaise de l’époque, avec des refrains obsédants, mélodiques, envoutants parfois lumineux et parfois sombres, parfois étrange dans le discours et les textes de Serge.

Une fois la chanson écrite elle appartient à tous, alors les gens voyagent avec les mots et mélodies et elles deviennent lentement de petits miroirs. J’étais heureux lorsque Serge arrivait avec de nouvelles chansons, sa voix n’avait pas changé ce qui est rare, sa force d’évocation toujours présente, il faisait notre bonheur en ajoutant de petits bijoux au trésor culturel de la chanson de la francophonie, un frère, un ami, un grand musicien qui va nous manquer.

Merci, Serge, pour tout ce que tu nous as donné. »

Après Harmonium et le projet unique Fiori-Séguin, Fiori a écrit des chansons pour d’autres artistes, comme Diane Dufresne, Nanette Workman et l’humoriste Yvon Deschamps, et il a composé et chanté le thème musical du festival Juste pour rire de Montréal. Il a sorti son premier album solo, simplement intitulé Fiori, en 1986, puis a passé une bonne partie des années 90 à écrire pour le cinéma et la télé.

Son deuxième album solo, Serge Fiori, est paru 28 ans après le premier, en 2014. Un autre album, Seul ensemble, est sorti en 2019, une collaboration avec Louis-Jean Cormier comprenant de nouvelles versions de ses chansons pour la compagnie de cirque contemporain Cirque Éloize.

En 2016, L’Heptade d’Harmonium a été remixé et remasterisé pour souligner son 40e anniversaire (L’Heptade XL). L’original a été certifié quadruple platine, tandis que Harmonium est double platine et Les Cinq Saisons platine. Le groupe a reçu plusieurs prix SOCAN Classic et un Félix honorifique, et ses chansons ont été reprises par des artistes comme Les Respectables, Sylvain Cossette, Eleanor McCain, Boom Desjardins, Jorane et Lawrence Gowan.

James MacLean, gérant de Voivod, formé en 1982, confirme au Panthéon que le groupe est encore au tout début de la planification « d’un spectacle Voivod/Harmonium avec la cheffe d’orchestre Dina Gilbert, qui a dirigé les trois derniers concerts symphoniques de Voivod. L’idée serait pour les grands festivals extérieurs du Québec en 2027. »

Des funérailles nationales pour Fiori auront lieu le 15 juillet à 15 h (HE) à la Salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts, à Montréal. Les condoléances peuvent être envoyées à sa famille ici. « Tout au long de sa carrière, Serge Fiori nous a offert une œuvre qui nous unit, nous reflète et nous touche droit au cœur, » a déclaré le premier ministre François Legault dans un communiqué. « Il a contribué à bâtir l’identité musicale du Québec; notre nation lui doit beaucoup. »