Par Karen Bliss
Presque quarante-cinq ans après le début de son partenariat musical avec Jim Cuddy, le chanteur et guitariste Greg Keelor du groupe country rock Blue Rodeo affirme que « les vibrations de nos deux voix me donnent encore un “high” ». Les deux artistes seront intronisés au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens le 28 septembre prochain au Massey Hall, à Toronto, en même temps que d’autres véritables icônes culturelles, Tom Cochrane, Sarah McLachlan et Diane Tell.
En 1979, Keelor et Cuddy étaient membres du groupe torontois The Hi-Fi’s avant de former Blue Rodeo, et leur nouveau groupe a connu un succès immédiat avec son premier album, Outskirts (1987) où l’on retrouvait la ballade durable « Try », « Rose-Coloured Glasses » et leur tout premier simple, « Outskirts ». Au fil des 15 albums en studio suivants, le plus récent, Many A Mile étant paru en 2021, le duo a continué à écrire et produire des « hits » qui font partie de nos vies : « 5 Days in May », « Bad Timing », « Til I Am Myself Again », « After the Rain », et tant d’autres. Le groupe compte 13 JUNOs et a été intronisé au Panthéon de la musique canadienne en plus d’avoir sa propre étoile sur l’Allée des célébrités canadiennes.
Cuddy vient de sortir son plus récent album solo, All The World Fades Away, mais Keelor a été le premier membre du groupe à le faire, avec Gone en 1996. Il a depuis lancé une poignée de projets solos, dont Seven Songs for Jim en 2005, Aphrodite Rose en 2006 ; la bande originale du film Gunless en 2010, une collaboration avec Travis Good et Gordon Pinsent en 2018 intitulée Down and Out in Upalong, Last Winter en 2018, et Share The Love en 2021.
Greg Keelor s’est entretenu avec Karen Bliss au sujet de son intronisation au PACC, des raisons pour lesquelles son partenariat avec Jim Cuddy dure depuis des décennies, de la chance qu’il a d’être entouré de musiciens brillants et de ce qu’il fera le jour de son 70e anniversaire, le 29 août.
Vous avez reçu de nombreux honneurs tout au long de votre carrière. En quoi celui-ci est-il différent? Je pense que je deviens plus sentimental avec l’âge.
Dans quel sens? Parce que vous le recevez conjointement avec Jim? Non, je veux dire par rapport à ces prix. Je me suis toujours senti un peu mal à l’aise par rapport aux prix, tu sais. C’est un malaise qui est plaisant, bien entendu. Mes héros sont des gars comme Groucho Marx qui disait « je ne ferais jamais partie d’un club qui m’accepterait comme membre », tu vois ce que je veux dire? J’ai toujours regardé ces choses-là avec beaucoup de recul, mais en vieillissant, je deviens un peu plus sentimental. Ce prix a un côté très touchant et je l’apprécie vraiment.
C’est un prix très spécialisé et spécifique pour votre travail d’écriture de chansons, ce qui a été votre gagne-pain pendant toutes ces années. Il y a des millions de musiciens sur la planète qui écrivent des chansons, mais ça prend un talent indéniable pour écrire des chansons dans lesquelles les gens se reconnaissent. Oui, et c’est assez étrange, ce que tu décris, n’est-ce pas?
Tous les membres du Panthéon font ensuite partie d’une exposition permanente au Centre national de musique à Calgary. Vous a-t-on déjà demandé de fournir des souvenirs? Savez-vous ce que vous leur donnerez? C’est la première fois que j’entends parler de ça. Va falloir que j’y réfléchisse.
Et que pense-vous du fait de recevoir ce prix aux côtés de Jim? On a eu une vie incroyablement riche en histoires de toutes sortes que j’ai toujours trouvée assez impressionnante. Deux amis du secondaire – je ne jouais même pas de la guitare à l’époque. On s’est rencontrés et nos vies ont suivi le même chemin. Même si on a fait plein de choses différentes quand on était jeunes, nous avons fini par nous retrouver autour de la musique.
Jim est une des raisons pour lesquelles j’ai appris à jouer de la guitare. Lui et ses amis se réunissaient et ils jouaient de la musique et chantaient des chansons, mais moi je ne savais pas jouer et j’étais trop timide pour essayer de chanter, alors je me tenais en retrait et je me saoulais, je me gelais et je me disais « mon Dieu que j’aimerais faire comme eux, je veux faire comme eux ».
On s’est tous les deux retrouvés dans les Rocheuses, à Lake Louise et Banff au début des années 70. Lui était à Banff et moi à Lake Louise et mon coloc avait une guitare acoustique, alors j’ai commencé à m’essayer. Il avait un livre de partitions de Gordon Lightfoot et c’est avec ça que j’ai appris à jouer. Après, Jim et moi on a commencé à écrire des chansons et on s’est dit qu’on devrait créer un groupe.
Nous voilà aujourd’hui, 45 ans plus tard, en train d’en discuter. Oui, j’adore cette histoire. J’aime l’histoire de Jim, Greg et Blue Rodeo.
Je sais pas si quelqu’un a déjà fait une étude là-dessus, mais j’ai entendu dire que la durée de vie moyenne d’un groupe de musique est de sept ans. Pour Blue Rodeo, ça dure depuis plus de 40 ans. Il n’y a probablement pas beaucoup de partenariat de création de chansons qui durent depuis aussi longtemps. C’est probablement votre plus longue relation. Oui, pour lui autant que pour moi.
Qu’est-ce qui explique que ça marche aussi bien entre vous? Eh! bien je pense que c’est comme plein d’autres choses dans la vie. Il y a des choses qui sont juste dues pour arriver et il n’y a aucune autre explication même s’il y a tout un tas de coïncidences et de synchronicité et de la manière unique dont nos énergies se combinent. C’est aussi que j’aime tellement chanter avec Jim. Les vibrations de nos deux voix me donnent encore un « high ». J’adore et c’est réellement unique. C’est la raison la plus importante qui explique pourquoi ça marche : on a encore autant de plaisir à le faire.
C’est unique aussi d’avoir deux chanteurs principaux dans un groupe. Quand vous avez commencé en tant que groupe, écriviez-vous ensemble ou c’était toujours « voilà mes chansons, ça, c’est ma “vibe” » avant « y mettre la finition? Est-ce que votre façon d’écrire a changé au fil du temps? Quand on a commencé, on écrivait genoux à genoux, guitare à guitare. On s’asseoyait et on travaillait une chanson, son pont, le refrain, tout ça ensemble. C’était dans le temps de notre groupe The Hi-Fi’s, je pense qu’on a commencé en 1978. La plupart de ces chansons étaient très Lennon-McCartney dans le sens qu’on écrivait ça avant de la présenter au reste du groupe.
Quand est venu le temps d’enregistrer notre premier album en 83 ou 84, on écrivait un peu plus chacun de son côté avant de se réunir pour donner une forme plus finie à nos ébauches et ensuite présenter ça au groupe. Puis, vers 92 ou 93, je suis déménagé à la campagne. Les choses ont changé à ce moment-là. Il écrivait une chanson de mon côté et lui du sien et on présentait ça au groupe indépendamment.
Vous êtes le premier membre du groupe à avoir enregistré un album solo. Qu’est-ce qui distingue une chanson de Greg Keelor d’une chanson de Blue Rodeo? Est-ce que c’est juste une question de « timing » ou il y a autre chose qui entre en ligne de compte? Mon premier album solo était très spécifique à cause du sujet des chansons. Je venais de découvrir que j’avais été adopté et que mon premier nom était Francis McIntyre. J’ai appris que ma mère était originaire de Foot Cape et du Cap Breton, et plein d’autres choses intéressantes. À cette époque, je m’étais aussi rendu en Inde pour passer du temps avec un gourou. J’étais à la recherche de mes parents cosmiques, si tu veux, et c’est une expérience assez étrange de rencontrer ta mère pour la première fois à 40 ans. J’ai conduit jusqu’au Cap-Breton pour découvrir tout ça.
Donc, cet album-là, toutes ces chansons, parlent de ce périple, mais elles auraient toutes pu être des chansons de Blue Rodeo. Je n’ai jamais tracé de frontière dans le genre « ça, c’est une chanson pour Blue Rodeo et ça, c’est une chanson pour un album solo de Greg Keelor ». J’écris constamment et si c’est le temps pour Blue Rodeo, c’est ça. Souvent, ce qui arrive avec un album solo, c’est que t’as plein de chansons en surplus et tu commences à les enregistrer et tu en écris d’autres pour les compléter, alors pour moi elles sont légèrement thématiques, mais sans plus.
Jim et vous et les autres musiciens avez prouvé qu’on peut mener une longue et solide carrière dans un groupe tout en faisant plein d’autres choses. Vous jouez constamment. Jim vient de sortir un nouvel album solo et il est en tournée. Je vois souvent Bazil [Donovan] qui joue au Rivoli ou Glenn [Milchem] au Dakota avec leurs projets parallèles amusants. Vous aimez tous jouer. C’est un groupe de musiciens talentueux qui aiment jouer : Bazil et Glenn jouent constamment un peu partout à Toronto, que ce soit au Cameron, chez Grossman, au Rivoli, ils jouent sans arrêt.
Et il y a Colin [Cripps] qui produit des albums et qui a aussi son propre groupe. Mike Boguski sort des tonnes de musique et joue du jazz, et Jimmy Bowskill a son propre groupe [Brooks & Bowskill] avec sa femme [Brittany Brooks] et ils jouent et enregistrent tout le temps. On a toujours été très chanceux. Dans cette incarnation du groupe, on a toujours été entourés de musiciens brillants, ce qui nous a permis de nous sentir confiants quand on présente une chanson aux autres et qu’on sait qu’ils vont nous aider à la travailler. On a eu la chance d’avoir ça avec nous tout le long de notre carrière, d’excellents ingénieurs et d’excellents musiciens.
Chaque année, à la fin de l’été, Blue Rodeo est la tête d’affiche d’un magnifique gros spectacle au Budweiser Stage à Toronto. Année après année, 16 000 personnes sont là et chantent toutes vos chansons à l’unisson. C’est vraiment devenu un rendez-vous annuel. Oui, c’est devenu un concert de fin d’été où tout le monde chante en chœur. T’as pas le choix de te dire « quelle chance on a d’être dans une position où tous ces gens viennent et chantent nos chansons avec nous! » C’est une réjouissance qu’on ne tient certainement pas pour acquise.
Vous aurez 70 ans ce mois-ci. Avez-vous prévu quelque chose de spécial? Je vais passer une soirée tranquille à la Pacific National Exhibition à Vancouver en compagnie de 12 000 fans.
[rires] Cool, ça devrait être amusant. Est-ce que vous contemplez le passé en vous disant « Holy shit, j’ai 70 ans et j’ai passé toute ma vie adulte à être un auteur-compositeur et un musicien. Quelle vie unique et cool! » Oh, il n’y a pas un instant où je ne pince pas! Il n’y a pas de plus beau métier. J’attrape une guitare et je joue des chansons pendant que j’essaie d’en écrire une. Et oui, c’est vrai que je fais ça depuis toujours.
Vous avez sûrement déjà assisté à une cérémonie du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens. Y avez-vous déjà joué? On a joué lors d’une de ces cérémonies il y a très longtemps, c’était pour Hank Snow et Gordon Lightfoot. Je viens juste de regarder un bout de notre hommage à Lightfoot au Massey Hall [l’événement capté le 23 mai et diffusé sur CBC Gem] et c’est très bien. J’étais impressionné.
Vous devez avoir quelques histoires avec Tom Cochrane? Tu sais, je n’ai jamais réellement passé de temps avec Tom.
Quoi? Comment est-ce possible? Je l’ai souvent croisé dans les coulisses, du genre « salut, comment ça va? », mais je n’ai jamais vraiment passé de temps avec lui. Jim a joué avec lui et passé plein de temps avec, mais moi je n’ai jamais réellement socialisé avec Tom.