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Photo par Stephane Bourgeois

L’intronisée Diane Tell aborde l’écriture depuis l’âge de 12 ans, la gestion de ses droits d’auteur et le « choix » du français

Nouvelles du PACC

Par Karen Bliss | 28 octobre 2024

Diane Tell, qui a siégé au conseil d’administration de la SOCAN pendant cinq ans jusqu’en 2023, a été intronisée au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens en septembre. Figurant parmi les pionnières des autrices-compositrices-interprètes du Québec, elle a commencé à écrire des chansons à l’âge de 12 ans et a sorti son premier album éponyme en 1977 alors qu’elle était encore adolescente. Sa chanson la plus célèbre – « Si j’étais un homme », tirée de son troisième album, En flèche, paru en 1980 alors qu’elle n’avait que 21 ans – a été intronisée au PACC en 2017. En 1980 et 1981, alors qu’elle n’a pas encore 25 ans, elle remporte six Félix : meilleur autrice-compositrice-interprète, deux fois, meilleure nouvelle artiste, meilleure chanson, meilleur album et meilleure artiste féminine.  

Désormais établie en Europe depuis 25 ans, et en Suisse depuis une dizaine d’années, l’artiste de 64 ans lancé une bonne douzaine d’albums à ce jour, dont le plus récent, intitulé Haïku a été lancé en 2019 sur étiquette Propagande. Elle a donné une quarantaine de concerts en 2021 et 2022 et, en 2023, elle a été nommée Chevalier des arts et lettres de France. 

Diane Tell a discuté avec le PACC de son intronisation, de l’écriture à un si jeune âge, de l’évolution du métier et de ce qu’elle considère comme la différence entre l’écriture de chansons en français et en anglais.    

Vous avez reçu de nombreux prix, mais que ressentez-vous à l’idée d’être honorée pour l’ensemble de votre œuvre en tant qu’autrice-compositrice?  

Cette reconnaissance est extraordinaire. C’est très différent, car ce n’est pas comme si j’allais à cette cérémonie sans savoir que je vais être honorée [rires], comme aux Oscars ou aux JUNOs. On peut se prépare un bon moment à l’avance. C’est un concept différent. J’ai également reçu une très belle reconnaissance en France, le titre de Chevalier des arts et lettres de France – c’est un peu l’équivalent au Canada du Prix du Gouverneur général pour les arts – que j’ai reçu de la France il y a un an. J’imagine que j’en suis au point de ma vie où les gens font un retour sur l’ensemble de mon œuvre (rires). 

Absolument. Vous faites encore beaucoup de tournées. Continuez-vous à écrire? Travaillez-vous sur un nouvel album que nous pourrons bientôt entendre? 

Oh, oui, je travaille continuellement sur mon prochain album. Je donne des spectacles et je m’occupe de l’aspect administratif de mon catalogue puisque je suis ma propre entreprise. Je ne manque pas de travail et je ne sais pas quand sortira mon prochain album. Tout est une question de financement. 

Vous savez, le métier a beaucoup changé. Il ne s’agit plus d’enregistrer un album, de faire une tournée, puis de retourner dans sa chambre pour écrire de nouvelles chansons. C’est plus diffusé en raison de la présence en ligne de la musique. Ce n’est plus une activité gérée par une entreprise commerciale sur un territoire particulier, c’est devenu global. C’est une façon différente de gérer les choses. On pourrait très bien imaginer lancer un simple aux trois mois plutôt qu’un album.  

Vous êtes propriétaire de votre catalogue et vous êtes votre propre éditrice. Beaucoup de jeunes artistes veulent d’abord un contrat d’édition et un contrat d’enregistrement. Pourquoi était-il important pour vous de contrôler votre catalogue 

Je suis propriétaire de tout mon catalogue depuis longtemps [par l’entremise de sa société, Tuta Music inc.]. Je suis propriétaire de l’édition et des bandes maîtresses, et j’ai un distributeur. J’ai fait le choix, il y a 12 ou 13 ans, de m’adresser à un seul distributeur pour le monde entier en ce qui concerne le numérique.  

Les contrats de vente de disques physiques étaient territoriaux auparavant. Une entreprise très bien implantée au Canada n’a pas nécessairement ce qu’il faut pour s’occuper d’un contenu en Allemagne, en France ou ailleurs, et c’est vrai même pour les multinationales. Par exemple, si tu signes avec Sony Canada, ça ne veut pas dire que Sony France va s’occuper de toi. Le commerce des albums physiques était très lié au territoire.  

Même chose pour les droits des auteurs-compositeurs. Avant, tu chantais dans un pays donné, tu étais diffusée dans un pays donné et des organisations comme la SOCAN géraient ces droits pour toi. Ils administrent ces droits pour toi. Mais aujourd’hui, avec la diffusion en continu, c’est complètement dispersé. Et quand je reçois mes documents administratifs chaque mois de la part du distributeur, c’est du genre « en Russie, le 14 mars 2024, un type connecté à Spotify Premium a écouté cette chanson de cet album ». Et voilà [rires]. C’est des milliers et des millions. C’est très fragmenté. 

C’est donc très différent d’avant et c’est différent pour les organisations comme la SOCAN aussi. Vous pouvez imaginer qu’elles doivent maintenant gérer des trillions de données, alors qu’avant, il n’était question que de données territoriales. C’est ce qui est très difficile à gérer pour les organisations plus anciennes, et la nouvelle génération ne connaît pas cette ancienne façon de faire les choses. 

Beaucoup de créateurs et de créatrices accomplies comme vous vendent leur catalogue en tout ou en partie. Neil Young, Bob Dylan, Sarah McLachlan; le feriez-vous, éventuellement, vous aussi?  

Tout d’abord, l’information qui nous est transmise à ce sujet n’est pas très précise. Que vendent-ils exactement? Vendent-ils leurs droits d’auteur-compositeur? Vendent-ils l’édition? Vendent-ils les droits de synchronisation ou les droits sur les phonogrammes? En outre, ils ne possèdent pas tous leurs droits parce que les artistes que vous citez ont déjà des contrats avec de grandes sociétés nationales. Donc, quand on entend parler de ces transactions dans les médias, je ne suis pas sûre de l’information que nous recevons. C’est comme quand je lis qu’une plateforme rapporte 0,00015$, ce n’est pas une information fiable, alors je ne sais pas trop…  

Je me pose quelques questions à ce sujet, mais, pour parler simplement, disons que tu vends tout ce que tu détiens à une organisation. La première question est de savoir ce qu’elle en fera, parce que tu ne veux pas qu’une de tes chansons se retrouve dans une pub pour un produit horrible qui, oh, mon Dieu, ne fait pas l’unanimité. Tu veux savoir ce qu’ils vont en faire, parce que vous avez encore de nombreuses années de vie devant toi. 

La deuxième question est : « Que veux-tu faire du reste de tes jours? » Si tu veux simplement acheter une ferme et élever des poulets, alors ça va, peu importe ce qu’ils font avec tes chansons.  

L’autre question très importante est de savoir ce qui se passera après ta mort. Ton catalogue, s’il est bien géré, va continuer à rapporter de l’argent pendant 50, 60, 70 ans après ta mort, alors tu veux savoir comment ça va se passer. Je veux dire, tu es morte, ça ne t’affecte pas, mais si tu as eu des enfants, par exemple…  

Prends l’exemple d’artistes du passé comme Nina Simone ou Billie Holiday, pour ne donner que deux exemples. Ces deux femmes sont mortes dans la pauvreté complète, elles étaient très pauvres, elles avaient des dettes et elles étaient dans une très mauvaise situation financière lorsqu’elles sont mortes, mais aujourd’hui, leur catalogue rapporte beaucoup d’argent à ceux qui détiennent ces droits. 

Je pense donc que le fait que je possède tous mes droits à cette époque de ma vie est tout à fait unique. Vendre ses droits est une idée intellectuelle, mais il faut encore que quelqu’un se manifeste et dise « je suis preneur ». C’est comme si votre maison valait un demi-million de dollars jusqu’à ce que vous la vendiez. 

Écrivez-vous toujours votre blogue dans lequel vous expliquez les rouages de l’industrie de la musique et ce que les jeunes talents doivent savoir à son sujet? 

J’écris encore, mais pas très souvent. Quand j’écris un billet, j’écris rapidement parce que j’ai cette idée ou parce que quelque chose s’est passé dans l’industrie ou parce que quelque chose s’est effondré ou parce que quelque chose est nouveau ou parce qu’il y a un sujet qui m’intéresse vraiment, et si je n’écris pas là-dessus, je n’arrive pas à dormir ce soir-là, alors je dois me vider la tête.  

Ce qui est important change d’une personne à l’autre. Il faut d’abord regarder qui vous êtes, regarder votre cœur, regarder votre situation et qui vous êtes? Que voulez-vous? Que voulez-vous faire? Vous voulez être célèbre? Vous voulez être riche? Ou vous voulez simplement écrire de bonnes chansons? Peut-être que vous voulez faire plaisir à votre petit ami [rires] en chantant? Lorsque j’ai commencé à écrire des chansons, j’étais à l’école, j’avais 12 ans, et tout ce que je voulais, c’était être gentille avec mes amis et les divertir. Je ne me doutais absolument pas que j’allais devenir plus tard une autrice-compositrice internationale. Absolument pas.  

C’est quand même assez incroyable que votre chanson la plus célèbre, « Si j’étais un homme », ait été écrite pour un concours alors que vous étiez si jeune. 

Elle est sortie sur mon troisième album, à l’âge de 21 ou 22 ans. Avant d’enregistrer mon premier album, j’avais écrit environ 50 chansons depuis l’âge de 12 ans. J’allais à l’école de musique. Mon instrument est la guitare, c’est donc ce que j’ai étudié. J’ai donc tout de suite commencé à écrire des chansons. Mon premier album a été enregistré quand j’avais 18 ans. Le deuxième l’a été à 19-20 ans. Une fois l’album enregistré, j’écrivais déjà le troisième. J’ai écrit « Si j’étais un homme » quand j’avais 19, 20 ans et je l’ai enregistré avant d’avoir 21 ans.   

À l’époque, mon deuxième album était sorti et Radio-Canada m’a demandé de représenter le Canada dans un concours international appelé le Festival International de la Chanson de Spa [Spa Royal Festival] en Belgique. Ce n’est pas comme l’Eurovision – Eurovision, c’est la voix, c’est l’artiste qui interprète, qui est en compétition. N’importe qui peut avoir écrit la chanson, et la chanson peut déjà être un succès. Dans ce contexte particulier, à l’époque, c’est la chanson qui était en compétition, pas l’interprète. J’ai donc écrit « Si j’étais un homme » pour participer au concours. Je l’ai écrite pour mon troisième album, mais je l’ai aussi écrite spécifiquement pour participer à ce concours pour le Canada. J’ai perdu le concours, bien sûr, mais lorsque je suis rentré chez moi, j’ai enregistré la chanson pour le troisième album et j’ai gagné [rires]. 

Certains artistes francophones produisent également des albums en anglais. Y avez-vous songé?  

Quand j’ai commencé à écrire des chansons, j’écrivais en français et en anglais. Mais à l’époque, à la fin des années 70, quand j’ai passé ma première entrevue avec un représentant d’une maison de disques, on m’a dit qu’il fallait choisir parce qu’à l’époque, au Québec, la population s’intéressait beaucoup à la politique, et il y avait des mouvements assez forts qui voulaient protéger la langue française. Je simplifie, mais c’était très politique et c’était impensable de faire les deux; il fallait choisir. J’ai choisi le français.  

Vos chansons ont-elles été reprises dans d’autres langues?  

Mes chansons n’ont jamais été reprises. Si elles l’avaient été, je le saurais parce que je dois l’autoriser. Beaucoup de gens les ont reprises en français, mais pas en anglais.  

J’ai enregistré une quinzaine d’albums. C’est seulement lorsque j’ai enregistré à Londres, à l’époque où je travaillais pour Sony, que j’ai enregistré quatre chansons en anglais. C’était très amusant parce que j’étais à Londres et que j’aimais écrire en anglais. Je vais vous dire pourquoi : écrire en français et mélanger ces textes à une musique fondamentalement anglo-saxonne – j’ai chanté du jazz, de la pop, du folk, du progressif, et j’en passe. C’est une musique d’origine anglo-saxonne – et la langue anglaise et la langue française sont très différentes en termes de rythme. En anglais, l’accent est très souvent mis sur la première syllabe. En français, c’est l’inverse. Si vous dites « I’m travelling to Paris », en français, vous direz « je voyage à Paris ». Ainsi, lorsque vous composez de la musique d’origine anglo-saxonne et que vous essayez d’y ajouter des paroles en français, c’est pas facile.  

Un autre point délicat est que le niveau de qualité de la langue française est, d’une manière générale, plus élevé que celui de la communauté anglaise. Je ne dis pas qu’il n’y a pas de grands auteurs en anglais. Nous en avons beaucoup au Panthéon des auteurs-compositeurs canadiens – Joni Mitchell, Leonard Cohen, Neil Young, etc. – et nous avons, bien sûr, Bob Dylan, et nous en avons beaucoup, beaucoup. Mais si vous regardez les vieilles chansons, disons, toutes les chansons qui ont été écrites au cours des cent dernières années, comme si vous prenez [le groupe] America [« A Horse With No Name »], « on the first part of the journey, I was looking at all the… » whatever, and the desert is dry, and the rain is wet [laughs], si vous traduisez cela en français, cela sonne un peu enfantin. 

Donc, en France, où dans toute l’histoire de l’auteur-compositeur, les paroles ont toujours été extrêmement importantes, mais pas tellement la musique. Certains artistes extrêmement populaires ont des mélodies musicales très basiques, mais les paroles sont de la poésie, toute la poésie. En anglais, vous avez des mélodies musicales, des harmonies et des rythmes incroyablement sophistiqués, et vous explorez toutes sortes de styles différents. Et parfois, les paroles sont assez basiques. C’est donc différent. C’est un choix culturel pour moi de rester dans la langue française. 

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