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Mark Gane, auteur-compositeur et cofondateur de Martha and the Muffins, parle d' »Echo Beach », de son héritage et de bien d’autres choses encore

Blogue

par Karen Bliss

Pour le 25e anniversaire du Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens (PACC), l’organisation à but non lucratif a intronisé le classique new wave des années 80 « Echo Beach », écrit par Mark Gane, cofondateur du groupe torontois Martha and the Muffins avec la chanteuse Martha Johnson, aujourd’hui son épouse. La chanson figure sur leur premier album, Metro Music, sorti au début de 1980, d’abord au Royaume-Uni, en Europe et en Australie, puis au Canada, leur pays d’origine. Le simple et l’album sont tous deux devenus disques d’or (50 000 unités vendues à l’époque) avant la fin de l’année, et le simple a été récompensé par le JUNO du simple de l’année en 1981.

« Echo Beach » sera honoré au Glenn Gould Studio de Toronto le 1er novembre dans le cadre de la série Légendes du PACC, soutenue par la Fondation RBC par l’entremise d’Artistes émergents RBC.

Gane a parlé au PACC de la création de la chanson, de son héritage, de ses reprises préférées, ainsi que du fait que Live Nation ait baptisé une salle « Echo Beach ». Il nous a également parlé des autres projets sur lesquels il travaille, notamment un album instrumental basé sur des noms de plantes, ainsi que l’accompagnement et la coécriture, avec Martha, de jeunes auteurs-compositeurs féminins sur des chansons de rupture.

« Echo Beach » a joui d’une très grande longévité.
Aucun doute! Elle est bien vivante.

On dit que vous avez été inspiré pour écrire ce texte lorsque vous travailliez comme inspecteur de papiers peints. Qu’est-ce que c’est que ça?!
Ça fait paraître ce travail beaucoup plus important qu’il l’est (rires). En fait, un été, je travaillais à l’usine de peinture Colour Your World dans la région de Lakeshore et de Royal York. Ils avaient ces énormes presses à papier peint qui tombaient souvent en panne. Elles arrêtaient de fonctionner et quelqu’un grimpait dessus pour constater qu’une partie de la bobine était endommagée et l’autre pas. Mon travail consistait à la sortir de là et à séparer le bon grain de l’ivraie. Évidemment, tu pouvais rêvasser pendant que tu faisais ça, et c’est donc de là qu’est venu le germe de l’idée de la chanson. Plus tard, j’ai utilisé une grande partie de ce papier peint pour envelopper la maison de mes parents cet été-là (rires).

À l’époque, bien sûr, il n’y avait pas de téléphones intelligents pour enregistrer tes idées de paroles ou de mélodie. Alors tu fais quoi si t’as une idée pendant que t’es au travail? As-tu écrit ton texte au verso d’un papier peint rejeté? Ou est-ce que tu as simplement une bonne mémoire? Es-tu parti du travail pour écrire ta chanson?
Ça n’a pas été un processus aussi rapide. La chanson elle-même a été écrite en grande partie au début de 78, donc deux ans et demi avant ça. Maisquand, je réfléchissais à l’idée de la chanson, c’est de là qu’est venue la majeure partie du premier couplet. C’était pas un scénario du genre je suis parti de l’usine de papier peint en me disant « il faut que je jette tout ça sur papier ». Il s’est donc écoulé un bon laps de temps entre l’expérience du papier peint et l’écriture du texte en tant que tel.

Vous avez écrit des chansons avant « Echo Beach » et bien d’autres après. Aviez-vous l’impression d’avoir créé quelque chose de spécial quand vous l’avez finie?
Je ne dirais pas dès que je l’ai finie. Je trouvais le « riff » de guitare très cool, mais c’était à peine le commencement de l’histoire du groupe. J’avais d’autres chansons et celle-là a toujours été très bien reçue, même au tout début de Queen Street à la Beverley Tavern où se tenaient tous nos amis qui étudiaient l’art ainsi que leurs professeurs et des artistes établis. On n’a pas fondé le groupe en se disant que ça marcherait un jour et on ne se voyait même pas comme de vrais musiciens, et c’est ça qui nous a permis de nous dire « Allons-y, et ça durera le temps que ça durera ; après on continuera simplement à faire ce qu’on faisait avant ». Mais soudainement, une série d’événements hors de l’ordinaire nous a menées à signer un contrat avec Virgin Records UK. On a été cueillis dans cette petite scène musicale et on s’est retrouvés sur la scène londonienne… Disons que ç’a été tout un choc. Bref, dans le contexte de toutes les autres chansons, elle était vraiment très bien reçue, mais on avait de bonnes réactions d’une façon ou d’une autre. J’ai peut-être eu un « feeling » semi-spécial de manière inconsciente, qui sait?

Pourquoi pensez-vous que les gens l’aiment encore autant?
Je ne pense pas que j’y avais vraiment réfléchi jusqu’à ce que mon père et moi on en jase il y a des années. Il m’a demandé « pourquoi cette chanson a-t-elle si bien marché? » J’ai dit « j’imagine que c’est parce que c’est un ver d’oreille ». Il a répondu : « c’est parce qu’elle est nostalgique ». Je pense qu’il a parfaitement raison. Quand je pense à certaines de mes chansons préférées de tous les temps qui ont traversé les époques – « Moon River » ou « Over The Rainbow » –, elles ont toutes un côté très nostalgique, mais sans être « quétaine ». Notre chanson n’est pas cliché, mais elle est très empreinte d’un puissant sentiment de désirer quelque chose d’inaccessible. Je pense que c’est ça qui touche les gens.

En plus, je pensais juste à une plage, mais je n’ai jamais été un gars de plage. C’était juste une idée comme une autre, mais elle a touché les gens, surtout dans des endroits comme l’Australie et Bali. Il y a même un hôtel [désormais fermé] à Zanzibar qui porte ce nom. Autrement dit, il y a plein d’endroits où il y a une plage qui se sont accrochés à la chanson. Et c’est sans parler de plein d’autres trucs bizarres comme une nouvelle de science-fiction et un jeu-questionnaire en ligne complètement dystopique.

Combien d’artistes peuvent se vanter d’avoir une salle de spectacle qui porte le nom d’une de leurs chansons [nommément la salle Echo Beach de Toronto appartenant à Live Nation]?
Une des plus belles récompenses pour un auteur-compositeur, en tout cas pour moi, c’est que la chanson a dépassé les frontières du monde de la chanson et est devenue un mème culturel à certains endroits.

Lors de l’annonce de l’intronisation de la chanson, le communiqué de presse disait « l’expression echo beach est désormais utilisée un peu partout à travers le monde ». Comment les gens l’utilise-t-elle et pourquoi?
Je ne sais pas trop. Je ne suis pas sûr de ce que ça veut dire. Honnêtement, c’est la première fois que j’entends parler de ça. Si les gens utilisent cette expression, je ne suis pas au courant.

La chanson a presque 44 ans et vous en avez fait une version pour son 30e anniversaire. Pensez-vous faire quelque chose de spécial pour son 50e?
On va peut-être voir les choses différemment quand on va être rendu là, mais pour l’instant je pense qu’on ne peut pas faire mieux que la version du 30e. C’est super intéressant de regarder les commentaires des gens sur notre chaîne YouTube ; il y a des internautes qui disent qu’ils la détestent. Ils disent que c’était impossible de faire mieux que l’originale et se demandent pourquoi on s’est donné la peine. Ils la trouvent lente en ennuyante. De l’autre côté, t’as les gens qui la trouvent super touchante. C’est très satisfaisant de provoquer des réponses aussi fortes quand t’es un artiste. Ça veut dire qu’au moins, c’est pas de la bouillie pour les chats!

Comme on dit, ne touche pas à ce qui est déjà parfait. Qu’est-ce qui vous a décidé à la mettre à jour?
Je ne pense pas que c’était vraiment une mise à jour, mais plutôt que trente ans plus tard, on avait du recul. On n’était plus des jeunes dans la vingtaine ; on avait quel âge à ce moment? On était dans la cinquantaine. Quand tu penses à ta vie, à qui tu étais, tu es la même personne que quand tu étais jeune, mais tu as aussi vécu plein d’expériences. Bref, un moment donné, j’ai dit «  ben voilà, c’est notre version adulte », ce qui est une explication simpliste ; elle est plus sombre, plus lente et elle porte le poids de l’expérience, mais toujours avec le même côté nostalgique. C’est pratiquement de la double nostalgie étant donné que l’originale l’était aussi. Dans l’originale on s’imaginait ce qu’est la nostalgie et dans la nouvelle version, tu vis cette nostalgie par rapport à certaines étapes de ta vie. Ce n’était pas simplement moi, en tant qu’auteur-compositeur, qui écrivait un texte en disant « c’est une idée cool, maintenant ». Ça venait directement de notre expérience, à Martha et moi, de vieillir. Je pense que c’est pour ça que plein de gens l’ont aimée. Ils se sentaient comme nous. J’imagine qu’il fallait avoir un certain âge pour le comprendre. Remarque, je dis ça et je suis sûr que plein de gens de notre âge l’ont détestée, mais c’est OK pour moi. Tant que tu réagis (rires).

Est-ce que vous avez un ou plusieurs reprises préférées?
Je suis un grand fan de King Crimson et Robert Fripp.

Je ne sais pas si tu connais les Sunday Lunch [une série de vidéos hebdomadaires] de Toyah Willcox et Robert Fripp, mais c’est vraiment malade et ils font une version « live » de « Echo Beach ». Je pense que c’est Toyah la première à en avoir fait une reprise [en 1987], à ma connaissance. Depuis, elle n’a eu que des bons mots à propos de la chanson et elle fait partie de son répertoire en spectacle. Et maintenant que Robert la joue, je suis aux anges de voir mon « guitare héros » jouer ma chanson. Jamais je n’aurais pu imaginer ça!

Mais une des meilleures versions que j’ai entendues a été faite par un artiste australien, Tim Van Der Kuil [sur YouTube sous le pseudonyme de Van Der Kill] – elle est super sombre. J’ai envie de dire qu’elle date d’il y a environ 10 ans, mais je parie qu’elle a 20 ans. Elle est super lente avec un changement de tonalité au milieu que nous avons tellement aimé qu’on l’a adapté dans notre version 30e anniversaire. Quand il y a cet autre petit changement qu’on n’avait pas dans l’originale, c’est son idée à lui. C’est notre version préférée à Martha et moi parce qu’il y a apporté quelque chose de nouveau. « J’aurais dû y penser », que je me dis en tant qu’auteur-compositeur. Il y a aussi ajouté plus de mélancolie avec des tonalités mineures, ce qu’on aime beaucoup aussi.

Êtes-vous allé à la salle Echo Beach?
Non, je n’y suis jamais allé. On a un peu eu maille à partir avec Live Nation parce quand ils ont choisi ce nom et que toutes les banques ont commencé à mettre leurs logos un peu partout partout, on les a contactés en leur disant qu’on n’était pas très à l’aise avec le fait que tout le monde gagne de l’argent avec ça alors que c’est basé sur notre chanson. Ça s’est conclu à l’amiable. Il y a eu un règlement. Une des choses qu’on leur a demandée et qu’ils ont refusé de faire, c’est de poser une plaque commémorative qui explique que la salle est nommée d’après notre chanson.

C’est dommage.
Surtout que c’est dans la ville d’où vous venez. Ayant évolué dans l’industrie de la musique, je sais comment les avocats pensent, plus que je le voudrais, même. Je les imagine très bien en train de se dire « il y a un risque de poursuite, là ».

Je ne vois pas pourquoi. Ça serait bien de voir cette plaque, mais de toute façon, tout le monde sait d’où vient le nom.
Exactement.

Cet été (2023), le magazine Rolling Stone a inclus Martha and the Muffins sur sa liste des 50 meilleurs artistes canadiens de tous les temps et là « Echo Beach » est intronisée au PACC dans le cadre de la série Légendes.
C’est cumulatif, n’est-ce pas? Tout ça ajoute du poids à la reconnaissance que tu as probablement réalisé quelque chose qui a duré un bon bout de temps. Bref, on accueille tout ça avec plaisir.

Quels sont vos plans après l’intronisation et en 2024?
Martha et moi on est toujours occupés. Il y a environ un an, on a fait une reprise de « For What It’s Worth » de Buffalo Springfield. C’était pour l’album de reprises de notre gérant. On vient juste de finir un vidéoclip qui est assez frappant et qui sortira en novembre. On travaille aussi beaucoup sur des coécritures avec de jeunes auteur·e·s-compositeur·rice·s.  Je viens juste de terminer un album solo intitulé Garden Music ; c’est un album instrumental basé sur des noms de plantes.

C’est assez unique comme concept. Est-ce que les plantes sont un de vos passe-temps et comment écrit-on une chanson basée sur un nom de plante?
Oui, j’adore jardiner et c’est un truc familial, génétique. J’ai commencé par trouver des noms communs intéressants qu’on donne aux plantes comme Feverfew (grande camomille) et Love-lies-bleeding (amarante queue-de-renard) et Deadly Nightshade (belladone) et des choses comme ça. Puis je me suis demandé à quoi ressembleraient les personnes qui portent ces noms et dans quel genre de situations se retrouveraient-elles? Certains morceaux sont assez abstraits et d’autres ressemblent à de la musique de film. Je viens du milieu de la musique expérimentale. Avant la création du groupe, j’étudiais en art et je jouais de la musique expérimentale et improvisée. Bref, ce genre de création remonte à bien avant ma tentative de créer de la musique pop. Je suis très à l’aise dans les deux univers. Il n’y a pas de musique trop bizarre pour moi et il y en a sur cet album. Ça va probablement faire fuir pas mal de gens, mais je sais que ça va plaire à beaucoup d’autres aussi.

Plusieurs expériences scientifiques ont été menées sur le son des plantes, récemment.
Oui, j’ai envoyé cette musique à quelques personnes avant sa parution et quelqu’un m’a répondu « que se passe-t-il en ce moment? Pourquoi tout le monde fait de la musique sur le thème des plantes? » (rires)

Qui sont les jeunes auteur·e·s-compositeur·rice·s avec qui Martha et vous travailliez?
Sam Casey, elle va chanter « Echo Beach » avec nous le soir de l’intronisation. Elle a un talent inouï. Et toute une personnalité. On a commencé ce projet il y a un bon moment. Ça s’appelle Dazzlefield et ça avance ; c’est un album de chansons de rupture par de jeunes auteures-compositrices. Sam en fait partie. Martha et moi on coécrit avec plein de jeunes artistes et on en a quelques-unes qui sont terminées [Kyara Tetrault & Juliana Eye, “Cool California Nights”; Chloe Jones, « End Of Pretending » ; Sam Casey, “Passing Out”].

Ce qui est génial, c’est que les paroles qu’on a écrites avec elles sont très sincères parce qu’elles ont vécu au moins une rupture à un moment donné et elles ont apporté ce sentiment vrai et honnête dans ces chansons. Ce sont toutes des chansons très différentes qui reflètent la personnalité de chaque artiste. On va finir par lancer ce projet. On prend beaucoup de temps à compléter nos projets, des fois. Mon album instrumental m’a pris 20 ans. Je l’ai commencé quand notre fille était enfant et maintenant elle a son propre enfant (rires).

C’est plus long que Guns N’ Roses.
Ouais, c’est peut-être un record du monde (rires).

Ça va sortir quand?
Je ne suis pas sûr. La prochaine étape est de construire un site Web pour que les gens aient un endroit où se rendre quand je vais l’annoncer publiquement.

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