Article par Eric Parazelli | 29 avril 2024
C’est avec une grande tristesse que nous avons appris le décès de ce monument de la chanson qu’était Jean-Pierre Ferland, le 27 avril 2024, à l’âge de 89 ans. Mais aussi avec une gratitude infinie pour l’œuvre immense qu’il lègue à la société québécoise, canadienne et à toute la francophonie.
Ferland, c’est plus de 450 chansons et une trentaine d’albums. Récompensé une douzaine de fois par un prix Classique de la SOCAN, récipiendaire du Prix National au Gala SOCAN 1999, Jean-Pierre Ferland recevait également, lors du Gala SOCAN 2023, le Prix Empreinte Culturel pour l’hymne immortel Un peu plus haut, un peu plus loin. En 2007, il était intronisé au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens pour l’ensemble de son œuvre.
Au cours de sa longue et fructueuse carrière, il aura porté la chanson québécoise un peu plus haut, un peu plus loin, et nous lui en serons éternellement reconnaissants. La SOCAN, la grande famille des talentueux auteurs, compositeurs et éditeurs de chez nous, offre ses plus sincères condoléances à sa famille, ses proches ainsi qu’à tous ceux et celles qui ont eu la chance de le côtoyer au cours de sa fructueuse carrière.
Pour célébrer sa mémoire, nous avons demandé à des membres SOCAN de toutes les générations de choisir leur chanson préférée de son riche répertoire. Voici leurs réponses :
DIANE TELL « La Musique. Vingt-cinq ans après la sortie de Jaune, l’album qui a fait chavirer la chanson à la française, se retourner la langue dans la bouche des interprètes et donné une direction nouvelle aux voix de chez nous, Jean-Pierre Ferland enregistre avec trois chums, Alain Leblanc, Bob Cohen et Richard Bélanger, Écoute pas ça. La perle rare de cet album magique est une chanson de 6 minutes sans refrain accrocheur, sans histoire d’amour, sans histoire tout court. L’auteur y raconte tout ce qu’il a sur le cœur. Un chuchotement tellement chargé d’émotion, porté par un arrangement dépouillé, le calme après toutes les tempêtes d’une vie pleine et pourtant, malgré tous les efforts pour faire juste et simple, un monde s’écroule aux pieds de cette mélodie de peu de notes. Fascinante réussite. La chanson parfaite. Comme si le petit roi devenu grand, hors d’état de vivre, résolut d’abdiquer. Ses derniers mots, il les adresse à sa fidèle âme sœur, la compagne de tous ses textes, son trésor, son amour, La Musique. »
LOUIS-JEAN CORMIER « J’ai beau tourner le répertoire de Ferland de tous les bords, je crois que ma toune reste Le petit roi. Pour la petite histoire, Ferland prenait une place importante dans la collection de vinyles de mes parents, tout comme Vigneault et Leclerc. Mes parents chantaient dans des chorales et c’était les années de La petite suite québécoise. Même si Le petit roi ne s’y retrouve pas, mon cerveau associe cette chanson au chant choral et à la nostalgie familiale. Je crois que les premières notes du Petit roi sont les plus emblématiques de l’œuvre de Jean-Pierre. Et la chanson elle, est un chef-d’œuvre d’inventivité, la progression d’accord, la mélodie immense, mais aussi les mots qui racontent la renaissance que l’on traverse tous à la mi-trentaine, le vrai passage à l’âge adulte et le goût de changer de peau. Il y a des vapeurs de spiritualité et de pleine conscience dans la chanson. Quand on est happé par une telle pulsion d’écriture, on touche souvent à l’éternel, la dissociation de l’égo, à l’âme finalement. C’est du beau! C’est un legs important pour le Québec, j’oserais même dire une des plus belles offrandes qu’on puisse faire à la vie. Et salutations à Michel Robidoux pour son apport à la chanson. Merci pour ça l’ami J-P. »
ARIANE MOFFATT « Le chat du café des artistes est une chanson d’une puissance inouïe. Son texte s’ancre à la parfaite croisée du politique et de l’intime. D’une part la désillusion de son interprète qui décrit de façon si poétique sa vision sans compromis de son statut d’artiste et de l’autre, la place de second rang de l’artiste aux yeux de la société, font de cette chanson une forme de manifeste en soi. La tension des arrangements (cordes, cuivres , chœur d’enfants , importants contrastes des nuances) est parfaitement imbriquée au propos et c’est comme ça qu’on arrive à créer un chef-d’œuvre intemporel, tout sauf formaté. J’ai eu la chance de l’explorer, de la décortiquer pour en faire une relecture auprès de son compositeur Michel Robidoux sur l’album de ce dernier et j’ai le sentiment d’avoir vécu une expérience profondément cathartique à travers ce processus. L’album Jaune a transformé la vision de tellement d’artistes… Un geste radical, audacieux et entièrement habité qui m’a toujours donné envie de me dépasser. Chapeau Ferland (et évidemment tous ses nombreux collaborateurs notoires, je pense à André Perry, Alain Leblanc et les nombreux compositeurs sur son chemin). Merci pour tout ! »
LUC DE LAROCHELLIÈRE « Il y a de cela quelques années on m’a offert l’animation de l’émission « La chaîne musicale » à Ici Musique. On nous incitait, pour la préparation, à nous bâtir des listes de chansons. En bon élève, je m’y suis mis en y allant par artistes. L’artiste québécois qui avait pour moi la plus longue liste d’incontournables était Jean-Pierre Ferland. Je n’aurais pas prévu. C’est apparu devant mes yeux. Aussi lorsqu’on m’a demandé de choisir MA chanson préférée de Jean-Pierre la réponse n’était pas évidente. Je vais quand même arrêter mon choix sur La musique de l’album « Écoute pas ça ». Comme auteur-compositeur je m’y identifie particulièrement. Moi aussi la musique m’a un peu sauvé la vie, elle m’a même donné une vie. C’est une magnifique chanson d’amour, peut-être une des plus sincères de Jean-Pierre. En tous cas, la musique aura probablement été son histoire d’amour la plus réussie, à notre grand bonheur à tous. »
VIVIANE AUDET « Ton visage, paroles de Jean-Pierre Ferland, musique de Paul de Margerie. C’est pour moi la plus belle chanson de Ferland. Le parfait mariage paroles et musique. La mélodie qui tangue sur une poésie qui se connecte directe au cœur, c’est pour moi la chanson de rupture parfaite. La métaphore de la tempête qui s’abat sur « bateau de peine » a toujours beaucoup raisonné dans mon cœur de Gaspésienne. Peut-être aussi parce que j’ai les yeux verts et que dans ma tête d’enfant j’avais un peu l’impression que Jean-Pierre me parlait. C’est une grande chanson. Une chanson qui s’inscrit dans l’éternel. »
NELSON MINVILLE « Il faut des amoureux, Ferland, Leblanc, Cohen, sur Écoute pas ça, 1995. ‘’Le Bon Dieu qui fait l’Irlande et la Bosnie, quand il s’excuse, il fait des amoureux’’. Quand j’entends cette ligne, mon cœur se fend et mes yeux se mouillent. Pour moi, Jean-Pierre Ferland c’est ça : L’amour intime et le souci du monde en une seule phrase bouleversante. Une chanson pleine d’images neuves, pas clichées, pas usées… sur une mélodie inspirée, vibrante, sans âge. Ferland est de loin le plus original de nos classiques et le plus classique de nos originaux. Merci Jean-Pierre ! »
DUMAS « Au Cégep, en 1999, j’ai eu une grosse période Ferland. J’écoutais beaucoup les albums Écoute pas ça et L’amour c’est de l’ouvrage qu’il avait façonnés avec sec complices Alain Leblanc et Bob Cohen. Sans aucun doute, à cette époque, Ferland fut un de ceux qui m’a donné le goût de chanter en français et trouver ma voix avec ces deux disques. Ce fut aussi les deux albums qui m’ont ouvert la porte par la suite à Jaune et Soleil, deux de mes albums québécois préférés. Grande chance, il était venu en fin d’année donner un concert le midi à l’auditorium. J’avais réussi à lui donner une cassette de mes chansons (!). La seule fois que je l’ai rencontré. J’ai pensé choisir une chanson de cette période: Les beaux grands bleus d’automne. Ferland a eu plusieurs renouveaux dans sa carrière, celui de ces deux albums est particulièrement touchant et réussi avec plusieurs chansons immortelles. Un tour de force ! Merci monsieur Ferland ! »
MAUDE AUDET « Les perles sont nombreuses dans l’œuvre de Jean-Pierre Ferland, c’est difficile de choisir une seule chanson. L’album Jaune m’a particulièrement influencé pour les arrangements grandioses et intemporels. Aussi pour l’originalité des textes poétiques où on saisit toutes les images. La production de Le chat du café des artistes est superbe. Les lignes mélodiques de l’orchestration où tout s’élève, accueillant cette voie profonde qui nous raconte une histoire un peu étrange. Sa période « chansonnier » est aussi très belle. Je reviens chez nous c’est magnifique et chaleureux. On a l’impression que cette chanson existe depuis toujours. »
ANTOINE CORRIVEAU « J’aurais évidemment pu choisir Le chat du café des artistes qui est monumentale et à laquelle je me suis quand même déjà permis d’emprunter des accords. Mais j’ai plutôt choisi Qu’est-ce que ça peut ben faire que je trouve particulièrement touchante. Je trouve que ce texte commandait une interprétation lancinante comme celle de Ferland sur le disque Les Vierges du Québec, qui demeure un de ses disques que je préfère. Je trouve qu’en peu de mots, il arrive à nommer beaucoup de choses. Tourner le dos au modèle du père, même si c’était pour « vivre sa vie tout à l’envers » m’apparait frondeur pour l’époque. Je place ce disque dans une série de trois albums avec « Jaune » et « Soleil », qui me semblent poursuivre le même travail d’exploration et de recherche. Je le sens ici au sommet de sa forme. »
MARA TREMBLAY « Le petit roi, pour tout ce qui se passe dans la tête. J’ai eu à l’interpréter et ouf, grand voyage. Le souvenir le plus fort est quand j’ai été passé une journée chez lui à St-Norbert avec Monique Giroux pour une émission de radio…. Les chevaux, le terrain à couper le souffle, la maison de rêve et Jean-Pierre, avec ses habitudes et ses histoires. Quand est venu le temps de l’émission, Monique a fait jouer Tout nue avec toi et dès les premières phrases, ses yeux ont changé et il a dit : « Qui a écrit ça??? » avec une voix remplie d’admiration… Il avait compris le sens de mon texte, immédiatement, alors que bien d’autres le trouvaient trop simpliste. Comme je suis née en 1969, beaucoup de ses chansons se sont trouvées sur ma route et dans mon cœur. »