Fin 1963, le gouvernement américain comptait 16 000 « conseillers » — des soldats, en réalité — au Sud Vietnam. Le Vietnam était l’éléphant au milieu de la pièce — le public croyait que les États-Unis étaient effectivement en guerre, mais rien n’était toutefois officiel. L’auteure-compositrice-interprète Buffy Sainte-Marie, qui vivait aux États-Unis, avait elle aussi entendu ces rumeurs. Un soir, tandis qu’elle attendait d’embarquer sur un vol en direction de Toronto où elle devait donner un spectacle au café Purple Onion, elle a croisé des soldats blessés et ensanglantés qui arrivaient du Vietnam.
« Je n’avais jamais rien vu de tel », explique Sainte-Marie. « Puis je me suis demandé qui est responsable de la guerre. Est-ce que ce sont ces gars-là ? Dans le temps qu’il m’a fallu pour me rendre au Purple Onion, j’ai écrit “Qui élit les politiciens ? C’est nous.” C’est une chanson qui parle de notre responsabilité individuelle. » Une fois arrivée au Purple Onion, elle a complété l’écriture de Universal Soldier qui est rapidement devenu un hymne controversé pour le mouvement antiguerre qui commençait à prendre forme :
« He’s the universal soldier (librement : il est le soldat universel) And he really is to blame His orders come from far away no more They come from him, and you, and me And brothers can’t you see This is not the way we put an end to war. » (C’est lui qu’il faut blâmer/Ses ordres ne viennent plus de très loin/Ils viennent de lui-même, de vous et de moi/Et voyez-vous mes frères/Que ce n’est pas ainsi que l’on met fin à une guerre.)
C’est l’ensemble vocal The Highwaymen qui enregistrera The Universal Soldier pour la première fois en 1963. (Ils avaient obtenu un disque d’or en 1961 pour leur chanson Michael [Row The Boat Ashore].) Sainte-Marie a chanté Universal Soldier dans les cafés et les salles de spectacles folk avant d’enregistrer sa propre version pour son album « It’s My Way! » (Vanguard VSD 79142) en 1964.
Malgré le fait d’avoir été sacrée meilleure nouvelle artiste de 1964 par le magazine Billboard, la chanson de Sainte-Marie a très peu tourné à la radio parce que la Maison-Blanche l’avait inscrite sur sa « liste noire ». Cette mise à l’index n’a toutefois pas empêché le chanteur folk pop écossais Donovan Leitch d’en enregistrer une version, en 1965, qui allait devenir un succès international. Presque au même moment, la vedette montante du country, Glen Campbell, en a également enregistré une version qui s’est rendue au No. 45 du Hot 100 de Billboard tandis que la version de Donovan figurait dans les Tops 10 européens, au No. 21 de RPM et au Top 40 de Billboard.
The Universal Soldier est devenue de plus en plus populaire tout au long des années 60 et 70 grâce aux prestations de Sainte-Marie dans des festivals comme le Newport Folk Festival, le Bread and Roses Festival de l’université de Californie à Berkeley, a son concert au Carnegie Hall en 1968 ainsi que son passage à l’émission de télé « Shindig! ». La chanson est devenue très connue des soldats américains, également.
De nombreuses reprises folk, pop et country de la chanson ont vu le jour durant ces deux décennies, dont celles de Flatt and Scruggs, The Grass Roots, Lobo et The Roemans. The Universal Soldier a également été adaptée dans plusieurs langues, dont l’italien (Soldato universale), le néerlandais (De Eeuwige Soldaat) et l’allemand (Der Ewige Soldat).
The Universal Soldier a ensuite été redécouverte par une nouvelle génération de musiciens dans les années 90 et 2000 en raison de la crise au Moyen-Orient et des guerres en Irak : Eric Anderson, Jake Bugg, Julie Felix, Damien Leith et le groupe punk britannique Passion Killers l’ont tous reprise. Sainte-Marie l’a elle-même chantée lors d’une marche pour la paix à Washington en 2008.
Le duo suédois First Aid Kit a récemment mis la chanson au goût du jour en plaçant le soldat au Moyen-Orient : « He’s fighting for Palestine, he’s fighting for Israel … he’s fighting for Iraq … he’s fighting for his soil » (librement : il se bat pour la Palestine, il se bat pour Israël... il se bat pour l’Irak... il se bat pour sa terre), en plus d’ajouter un personnage de soldat musulman.
Sainte-Marie savait bien que The Universal Soldier avait un fort potentiel de longévité lorsqu’elle l’a écrite : « J’ai délibérément écrit Universal Soldier dans l’espoir qu’elle dure des générations et traverse les frontières linguistiques et nationales. »
The Universal Soldier est une chanson contestataire qui partage ce statut avec d’autres chansons intronisées au Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens : Walk Me Out In the Morning Dew et Last Night I Had the Strangest Dream.
Buffy Sainte-Marie (née en Saskatchewan en 1941) a joué un rôle central dans la naissance du mouvement des auteurs-compositeurs-interprètes solo. Elle compte plus de vingt albums à son actif et elle jouit d’une renommée internationale an tant qu’activiste pour les droits des autochtones et les questions environnementales. On lui doit les populaires ballades Until It’s Time for You to Go et Up Where We Belong qui a remporté, en 1983, un Oscar et un Golden Globe de la meilleure chanson. Son œuvre impressionnante a valu à Buffy Sainte-Marie de recevoir le Prix du gouverneur général pour les arts de la scène, le Prix de musique Polaris, six JUNOs, et de nombreux Canadian Aboriginal Music Awards. Elle a également été intronisée au Panthéon de la musique canadienne.