Vivre dans la nuit | Panthéon des auteurs et compositeurs canadiens
Toutes chansons intronisées
« On a été très jugés au niveau de la langue. Moi, je suis anglophone à la base. Je viens d’Aylmer, j’ai enseigné l’anglais… On m’a demandé de chanter et d’écrire en français avec un groupe qui, quand même, était francophone. [...] Évidemment, on a une des maladresses au niveau de l’écriture. J’en conviens aujourd’hui, je le reconnais ».
Vivre dans la nuit
  • Année de l'intronisation: 2021
  • Année de composition: 1984
Auteurs-compositeurs
Sandra Dorion Auteur-compositeur
Denis Lalonde Auteur-compositeur
Mario Dubé Auteur-compositeur
Daniel King Auteur-compositeur
Mario Laniel Auteur-compositeur
Artistes
Nuance
Il en va d’un hymne pour les noctambules qui se résignent à leur sort, d’une complainte rock gorgée de désillusion, mais portée par une chanteuse encore jeune et belle comme le jour.

Lorsque Nuance lance le 45 tours de Vivre dans la nuit en 1984, c’est tout un pan de la population active qui se sent interpellée par les paroles. Les gardiens de sécurité dans les tours à bureaux vides, les barmans qui ont pris un shooter de trop avec les clients avant le close, les danseuses qui ont dû composer avec le pire dans l’isoloir, les chauffeurs de taxi qui, trop souvent, épongent les restes d’une soirée trop arrosée sur leur banquette arrière. Les gens à qui, habituellement, les poètes ne pensent pas.

Sandra Dorion (chant), Denis Lalonde (guitare), Mario Dubé (claviers), Daniel King (batterie) et Mario Laniel (basse) se sont faits les portes-paroles des gens qui vivaient la même chose qu’eux. Très souvent réduits aux scènes des «super clubs» qui étaient alors très populaires, les musiciens de la formation Nuance ont fait les frais de soirées qui s’éternisent de 20h30 à 2h30, des sets nappés de brouillard au Dagobert de Québec et ailleurs - parce qu’il était encore possible de fumer à l’intérieur. Sandra Dorion, l’âme du groupe, se souvient. « La fumée, on la mangeait. Dans chaque ville, en tournée, j’arrêtais dans les pharmacies ou j’allais littéralement à l’urgence. Des fois, je perdais la voix pendant trois, quatre jours. C’était fou. On me mettait sur les antibiotiques, on me faisait des remèdes pour la gorge. Aujourd’hui, j’ai la voix éraillée parce que les nodules se sont installées avec le temps. J’enseigne, mais je ne peux plus chanter. »

Vendu à 88 000 d’exemplaires, au creux même d’une période pourtant difficile pour l’industrie de la musique francophone dans la Belle Province, le 45 tours de Vivre dans la nuit permettra aux Gatinois de loger pendant 52 semaines au Billboard. Pas mal, pour une chanson écrite sous pression. « En 1983, on est entrés en studio rapidement parce que notre chanson Amour sans romance avait quand même connu du succès sur les palmarès, se souvient Sandra. Très vite, on nous a demandé de réécrire un hit. »

Le long-jeu homonyme, Vivre dans la nuit en l'occurrence, sortira plus tard en 1984. Si le public adore et entonne les mots face à la scène en concert, l’intelligentsia d’alors se moque vertement de la prose des cinq paroliers originaires de l'Outaouais. La rançon de la gloire, sans doute. Sandra Dorion, aujourd’hui réorientée vers l’enseignement au primaire, se remémore les critiques acerbes de Nathalie Petrowski et des autres chroniqueurs avec un pincement au cœur. « On a été très jugés au niveau de la langue. Moi, je suis anglophone à la base. Je viens d’Aylmer, j’ai enseigné l’anglais… On m’a demandé de chanter et d’écrire en français avec un groupe qui, quand même, était francophone. [...] Évidemment, on a une des maladresses au niveau de l’écriture. J’en conviens aujourd’hui, je le reconnais. » Maladresses ou pas, leurs mots résonnent fort. L’interprétation, sentie et vive, marque durablement les esprits.

Plutôt que de se laisser miner par les mauvaises langues, les membres de Nuance s’accrochent à leurs deux nominations aux Junos et aux trois prix remportés au Gala de l’ADISQ: Découverte de l’année en 1986, puis 45 tours le plus vendu et Groupe francophone de l’année en 1987. Courtisée par Luc Plamondon lui-même qui cherche à la convaincre de se joindre à la distribution du spectacle Starmania, la vocaliste, en vraie fille d’équipe, refuse son offre pourtant alléchante et se remet à l’ouvrage. Avec les deux Mario, Denis et Daniel, Sandra sort l’album Journal intime, un dernier effort paru en 1988 qui sonnera le glas des carrières musicales de tout le monde. Ou presque.

Seul Mario Dubé continuera sa route dans le milieu du spectacle, notamment à titre de directeur de tournée pour différentes formations musicales. Sandra, elle, s’autorisera un bref retour avec le disque Sandra telle quelle, paru en 2011, avant de définitivement faire une croix sur sa vie d’artiste. Mario Laniel est à présent informaticien au gouvernement, Denis Lalonde vend aujourd’hui des assurances et Daniel King, lui, s’est ouvert une garderie. Plus personne, à ce jour, ne vit dans la nuit. Les membres de Nuance travaillent pour leurs gagne-pains, ils ont des jobs comme tous les autres.

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